Je le dis sans ambages : jamais, plus jamais je ne ferai preuve d'une telle gentillesse, pourtant inclination naturelle dont je ne puis me départir sans trahir ma personnalité.
J'avais, en effet, proposé à Secutor, qui manquait de place, d'empiéter sur ma table pour y placer une partie de ses pièces.
Tout naturellement, si je puis dire, voilà qu'il installe son chameau cataphractaire parthe sur ma gauche.
Je dispose mes petits dioramas à ma droite.
Les visiteurs passent et repassent. Hormis un gosse de dix ans environ qui fait mine de s'attarder sur mon Captain America, personne ne prête attention à mon Churchill et encore moins à mon Président Lincoln.
Ah ! Par contre tous les yeux se sont portés sur ce chameau caparaçonné comme on n'en a jamais vu.
Croyez-moi, la frustration est terrible. Dans ces moments de solitude incommensurable, vous vous faites tout petit et vous vous dites : je suis trop vieux, il faut que j'arrête le 1/6ème.
Et puis notre homme s'absente, sollicité de toute part par ses pairs.
S'arrête un couple sympathique devant le chameau maudit. Lui :
- vous l'avez acheté où ?
- je n'ai acheté que la bête, tout le reste est fait par mes soins;
- votre travail est extraordinaire;
- j'avoue que je suis, ce qui n'est pas le cas de tout le monde, particulièrement doué.
- oui, c'est une évidence.
J'en profite pour détailler chaque étape de la fabrication des pièces Elle :
- vous devriez avoir la médaille d'or;
- ah, Madame, sachez que ma modestie n'a rien à envier à ma dextérité; il ne participe pas au concours, j'ai décidé de laisser une petite chance à mes coréligionnaires.
- c'est tout à votre honneur; toutes nos félicitations !
Bon sang ! ça fait du bien !
Mais il faut revenir à la dure réalité; d'ailleurs, Secutor revient prendre place. Il me questionne :
- alors, quels sont les commentaires ?
- je ne voudrais pas te décevoir, mais tous les visiteurs me questionnent sur mes productions; c'est étonnant, mais aucun ne s'est intéressé à ton chameau.
- ah mince alors !
Bref, vous l'aurez compris, et pour être un peu plus sérieux, je dois le dire, mais vous le savez déjà : cette pièce est magnifique